« L’énergie n’est pas seulement une quantité physique, c’est un fait social, elle permet de répondre à des besoins humains et de démultiplier leur capacité à résoudre les problèmes auxquels ils font face, mais la contrôler n’est jamais neutre d’un point de vue politique ou économique ». C’est ce que nous démontre brillamment Lucas Chancel dans l’ouvrage « Énergie et Inégalités : une histoire politique« qui vient de paraître.
Cette relation forte entre énergie, inégalités et démocratie n’est pas un sujet nouveau : il y a une dizaine d’années, dans « Carbon democraty », Timothy Mitchell avait analysé en détail l’impact plutôt négatif des énergies fossiles sur le progrès démocratique au cours de l’histoire. Mais, nous dit Lucas Chancel, tout dépend des choix politiques faits pour gérer l’énergie. Après une période de socialisation de l’énergie au milieu du 20ième siècle, on assiste depuis les années 80 à une privatisation de l’énergie et à un recours systématique au marché. Avec des résultats mitigés, car comme le dit François Mirabel à la fin de son analyse de « La déreglementation des marchés de l’énergie », « Les gains de bien-être que pouvaient espérer les autorités publiques grâce à la déréglementation des marchés ne sont pas au rendez-vous », les marchés étant incapables d’intégrer une vision long terme.
Il est clair pour beaucoup – mais malheureusement pas pour certains grands dirigeants – qu' »Une décroissance radicale des consommations d’énergies fossiles et d’autres flux de matière est nécessaire pour empêcher le chaos climatique« . Dans ce contexte, une réappropriation démocratique de l’énergie semble indispensable. Il faut ainsi « batir une politique qui ne soit pas seulement un nouvel arbitrage ministériel entre lobbies producteurs, mais une véritable élaboration collective impliquant et engageant les citoyens » comme le disaient déjà il y a 20 ans Benjamin Dessus et Hélène Gassin dans le petit ouvrage très pédagogique « So Watt ».
Espérons que nos dirigeants sauront ouvrir un vrai débat démocratique sur ce sujet majeur du 21ième siècle, non seulement pour définir l’aspect technique des énergies du futur, mais surtout pour remettre à plat la gouvernance de la filière énergétique et réduire les inégalités qu’elle génère. « Socialiser l’énergie au 21e siècle est un moyen de renforcer la démocratie à l’heure où elle est dangereusement remise en question ».
Benoit de Guillebon