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GOUVERNER AUTREMENT

Pascal Demurger, Editions de l’aube, 2025

Après une formation à l’ENA et un passage dans la fonction publique, Pascal Demurger a intégré la MAIF en 2002 dont il est devenu le directeur général en 2016. En 2029, il a partagé sa vision de l’entreprise dans le livre « L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus » (voir chronique). Fort de l’expérience de 15 ans au sein de son entreprise où il a pu expérimenter d’autres manières de diriger, dans « Gouvernez autrement », il élargit sa vision à toute sorte de pouvoirs, dont le pouvoir politique. « Ce livre se veut une contribution, fondée sur l’expérience, afin de promouvoir une autre approche de l’exercice du pouvoir ». Ce changementdoit se faire sur 3 dimensions : d’abord changer de récit, ensuite changer de pratiques du pouvoir, enfin changer de perspectives.

« Une nation n’existe qu’en s’appuyant sur des référentiels communs et en se projetant vers un avenir partagé », lesquels se traduisent par un récit porté par les gouvernants ; or, nous dit Pascal Demurger, plutôt que de construire un récit solide et sincère, « Le politique s’est peu à peu laissé happer par les codes du storytelling ». D’où un fossé qui se creuse entre « ceux qui parlent et ceux qui ne les écoutent quasiment plus ». D’autant que l’on assiste à une litanie de récits démobilisateurs qui font rentrer le pays dans une spirale de la peur « Cette peur rend les citoyens nostalgiques, les dirigeants défensifs, les institutions frileuses ». Sans compter l’utilisation qu’en font les « ingénieurs du chaos » pour essayer de torpiller le système. L’auteur propose de puiser dans un gisement de nouveaux récits pour construire un nouveau récit. « La volonté de partager une vision apaisée, mais lucide de notre histoire, l’envie retrouvée de vivre ensemble à travers la fraternité et le souci de l’unité, la fierté de nos réussites nationales et une aspiration à une forme d’universalisme pourraient, avec beaucoup d’autres sans doute, composer un matériau propre à bâtir un récit national rénové ».

L’émergence d’une démocratie adulte tient aussi avant tout peut-être à la manière dont concrètement les relations entre gouvernants et gouvernés s’établissent. Aujourd’hui, en France, nous vivons dans une verticalité du pouvoir qui est à la fois infantilisante et déresponsabilisante, « ce que Pierre Rosanvallon nomme une démocratie d’autorité, surplombante et descendante pour ne pas dire condescendante« . D’où une défiance généralisée « Nous sommes devenus très sceptiques face aux vicissitudes du marché, aux lourdeurs de l’État-Providence, à l’individualisme présumé de nos semblables et aux défaillances de nos élites« . L’expérience entrepreneuriale de Pascal Demurger le conduit à dégager quatre caractéristiques d’une autre conception du pouvoir : l’humilité, la considération, la confiance et le partage. « L’émergence de cette culture nouvelle est à mes yeux indispensable et possible… Faisons le pari qu’en retour l’individu, enfin considéré en adulte, assumera pleinement sa responsabilité citoyenne en s’extrayant de sa condition de sujet, qu’il échappera au ressentiment et s’ouvrira à la construction ».

Le troisième volet du changement dans l’exercice du pouvoir, c’est la définition de finalités nouvelles à l’action publique. « Si la perspective ultime de la politique reste la gestion du court terme, la seule adaptation aux contingences et la performance pour la performance, alors un changement de récit et de pratiques ne suffiront pas« . L’auteur nous propose ainsi 3 horizons pour des finalités nouvelles.

D’abord une conception renouvelée du bonheur : « Il est temps d’admettre que nous avons trop longtemps confondu l’élévation du niveau de vie avec celle du niveau de bonheur ». Toutefois mettre en œuvre une nouvelle approche du bonheur n’est pas sans écueils : il faut slalomer entre la démagogie et la contrainte. Ces écueils ne doivent pas nous faire renoncer, car la préoccupation du bien-être n’est pas « un luxe moral ni un supplément d’âme. Il est en réalité une condition stratégique, sociale et politique pour faire face aux défis du temps ». 

Le deuxième horizon proposé, c’est la sobriété. « Il faut passer d’un imaginaire reposant sur l’accumulation à un imaginaire fondé sur la qualité ». Fort de son expérience d’entreprise, l’auteur est convaincu « que la sobriété n’est pas l’ennemie de la performance ». Et qu’elle peut devenir « une version repensée de la rentabilité ». Au niveau d’un pays, prendre la sobriété comme horizon « cela signifie une évolution culturelle, une éducation à d’autres valeurs et un leadership capable de tenir le cap dans la durée ».

Le troisième horizon proposé par l’auteur, c’est d’affirmer la souveraineté de l’Europe pour conforter son modèle de civilisation. « L’Europe de demain ne sera ni un État ni une simple zone commerciale. Elle sera une alliance de peuples, conscients de leurs dépendances, décidés à préserver ensemble ce qui fait le socle d’un projet de société… Une Europe adulte en somme.

Dans le contexte actuel, un tel appel à un comportement plus adulte peut paraitre « vain, voire dérisoire face à la puissance séductrice et conquérante de la démagogie ». Mais, nous dit Pascal Demurger dans sa conclusion, il ne faut pas se fier aux clichés et raccourcis et sous-estimer le fait qu’une part majoritaire de la société française « demande d’être traité en adulte par le pouvoir ni plus ni moins ». Un plaidoyer tout à fait convaincant pour un comportement plus adulte tant de nos dirigeants que de nous-même citoyens, par un auteur qui a le sens de la formule.