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LA DEREGLEMENTATION DES MARCHÉS DE L’ELECTRICITÉ ET DU GAZ

Francois Mirabel, Presses des Mines, 2012

Dans la logique néolibérale à l’œuvre depuis les années 80, l’Europe a lancé dans les années 90 la déréglementation des marchés de l’énergie. Les directives électricité et gaz de 1997 et 1998 ont ainsi marqué l’ouverture à la concurrence dans le secteur énergétique européen. Analysant cette déréglementation, l’ouvrage de Francois Mirabel est certes un peu technique (il est issu d’un cours donné à l’ecole des Mines Paristech), mais il est très intéressant, car il permet de comprendre les limites d’une approche théorique quand elle est confrontée à une réalité complexe. « Les gains de bien-être que pouvaient espérer les autorités publiques grâce à la déréglementation des marchés ne sont pas au rendez-vous », car les marchés sont incapables d’intégrer une vision long terme.

L’ouvrage commence par la présentation de la crise californienne de l’électricité en janvier 2001 qui a vu des pannes de courant importantes toucher jusqu’à 600 000 foyers. Une crise qui présente tous les ingrédients d’une libéralisation non régulée : manque d’investissement chronique pour répondre à une croissance de la demande, spéculation de certains opérateurs qui font monter les prix face à la pénurie, besoin d’intervention d’urgence de l’Etat : « Le coût des pannes électriques subies en janvier 2001 a été estimé à 42 milliards de dollars, soit 34 % du PIB de l’Etat de Californie en 2001″, argent qui n’a pas été perdu pour tout le monde, nottamment ENRON à propos duquel le New York Times a pu parler d' »un hold-up de 30 milliards de dollars en plein jour ».  

L’ouvrage déroule ensuite son plan classique de cours :

  • Une description des caractéristiques économiques des industries du gaz et l’électricité : « la présence de fortes économies d’échelle et d’envergure, l’existence d’effets externes importants dans ce secteur d’activité et mission de service public qui doivent être prises en compte et intégrées dans l’organisation des marchés« 
  • Les éléments de théorie économique qui ont conduit à conclure aux besoins d’une déréglementation des marchés énergétiques européens
  • Un chapitre sur la stratégie des acteurs : d’un côté les firmes énergétiques qui cherchent à atténuer la concurrence et renforcer le pouvoir de marché, de l’autre les pouvoirs publics qui interviennent sur les marchés énergétiques pour éviter des distorsions de concurrence.

« La mise en concurrence des industries de réseaux révèle certains dysfonctionnements importants qui nécessitent la mise en place de réglementations publiques ». Dans le 4e et dernier chapitre, probablement le plus intéressant, l’auteur aborde le sujet des domaines de régulation prioritaires : les missions de service public et l’environnement.

La conclusion de l’auteur est plus que mitigée quant à cette déréglementation des marchés : « Les politiques menées au niveau énergétique et environnemental doivent s’inscrire dans une réflexion à long terme dans lequel les changements structurels, comportementaux, engagent les citoyens sur plusieurs générations. Au lieu de ça, les marchés énergétiques européens se construisent et s’organisent à court terme, de manière brutale et dans l’urgence, par phases successives d’essais et d’erreurs, d’expérimentations plus ou moins réussies d’encadrement renforcé des marchés », avec des conséquences contraires aux objectifs initiaux, puisque l’ouverture à la concurrence n’a pas entraîné de baisse de prix. On voit bien apparaître la limite du fonctionnement de marché qui est incapable de prendre en compte le long terme. L’auteur cite ainsi Edgar Morin qui dans le cadre d’un rapport du Comité des Sages sur l’énergie en 2003 disait « à force de sacrifier l’essentiel pour l’urgent, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel ».