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LE POUVOIR DE LA MONNAIE

Jezabel Couppey-Soubeyran, Pierre Delandre et Augustin Sersiron, Editions les Liens qui libèrent, 2024

En 2020, dans leur ouvrage « Une monnaie écologique«  Alain Grandjean et Nicolas Dufresne avaient déjà abordé le sujet d’une monnaie libre, indépendante du marché, gérée comme un bien commun pour réaliser la transition écologique. Quatre ans après, Jezabel Couppey-Soubeyran, Pierre Delandre et Augustin Sersiron, nous montrent clairement qu’il faut « transformer la monnaie pour transformer la société« . Leur ouvrage a deux objectifs. D’une part « faire comprendre la nature et les transformations historiques de la monnaie« , et d’autre part « proposer une nouvelle manière de créer la monnaie pour relever le défi de la bifurcation écologique et sociétal ».

Après un premier chapitre plutôt philosophique (et parfois un peu abscons) sur la puissance de la monnaie, le deuxième chapitre nous raconte les aspects multiformes de la monnaie au cours de l’histoire pour bien nous montrer que la forme que prend la monnaie aujourd’hui n’est pas immuable. « Si la monnaie est aujourd’hui une monnaie bancaire, c’est-à-dire créée par les banques généralement contrepartie d’une dette et rapportant ainsi des profits à son émetteur, il n’en a pas toujours été ainsi historiquement, loin de là ». Et l’on peut tout à fait « imaginer pour demain une nouvelle forme de monnaie désencastrée du marché du crédit et des titres ».

Un chapitre est consacré à la monnaie d’aujourd’hui, « une monnaie bancaire encastrée dans le marché du crédit et des titres ». Ce chapitre explicite le mode de création actuel de la monnaie par les banques, qui conduit à une course vers la croissance. « Avec la monnaie de crédit, l’émission de monnaie, détachée de la contrainte physique, devenait l’anticipation des résultats futurs des investissements de la production et de la commercialisation à venir ». De plus, on a assisté progressivement à un dévoiement de la monnaie qui est devenu financiarisée : « Le crédit n’est plus l’unique source de la création monétaire des banques. Le titre, matière première du capitalisme financier, en est devenu une autre ». D’où une monnaie qui, pour une grande partie, » n’a plus rien à voir avec la production de biens et services dans l’économie réelle ». La crise de 2007-2008 a conduit les banques centrales à sortir de la neutralité que leur imposait l’idéologie neo libérale (et les traités européens traduisant cette idéologie) pour corriger les errements de cette monnaie financiarisée. « L’intervention de la Banque centrale a de ce fait dû s’adapter et ne se contenta pas de prêter au prêteur (Prêteur en dernier ressort) mais également en achetant des titres aux acheteurs de titres (acheteurs en dernier ressort) ». Mais ce faisant, les banques centrales se sont mis au service du capitalisme financier « sans qu’aucune réglementation sérieuse soit venue installer des garde-fous ».

Nous sommes donc dans une situation « d’injonction totalement paradoxale induite par le mode bancaire de création monétaire, d’avoir à soutenir sans cesse la croissance économique pour financer une transition écologique censée limiter l’impact environnemental et climatique négatif… de la croissance économique ». Le dernier chapitre détaille donc une proposition de création de monnaie volontaire « qui permettrait aux décideurs politiques associés à la société civile de financer la bifurcation sociale écologique » en sortant de la spirale de croissance générée par la monnaie bancaire. Cette monnaie volontaire suppose « un organe de décision qui aurait le pouvoir d’émettre, dans le cadre d’une gouvernance ouverte sur la société civile,  les quantités nécessaires de monnaie centrale pour remplir des missions d’intérêt général fixées démocratiquement ». Cette monnaie volontaire n’aurait ni la moindre obligation de remboursement ni la charge d’intérêt. Les auteurs détaillent la manière dont serait mis en œuvre cette monnaie volontaire et répondent par avance aux objections qui pourraient être soulevées (en particulier la conformité aux traités européens).

En conclusion, les auteurs rappellent que « La monnaie est une construction sociale qui fait historiquement preuve d’une très grande malléabilité ». Ils proposent donc d’utiliser la puissance de la monnaie pour accompagner La bifurcation écologique et sociétale indispensable. Tout en rappelant que « la bifurcation monétaire est une condition nécessaire mais pas suffisante de la bifurcation sociétale ».

Un ouvrage très riche qui part de considérations philosophiques et historiques pour entrer ensuite dans le concret – avec même une annexe comptable – que ce soit pour décrire le fonctionnement de la monnaie d’aujourd’hui ou le fonctionnement proposé pour une monnaie volontaire.