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SOIS JEUNE ET TAIS-TOI

Salomé Saqué, Éditions Payot, 2023

« Connasse ! Crève et fait pas chier ». En ouverture de son ouvrage, Salomé Saqué rapporte les mots très durs qu’un actionnaire de Total Energies, âgé d’une soixantaine d’années, a asséné le 25 mai 2022 à une jeune militante pour le climat qui bloquait l’entrée de l’assemblée générale du groupe pour en dénoncer les activités climaticides. Cet épisode, relayé sur Twitter, est une bonne illustration de la manière dont la crise écologique est en train de réactiver le conflit de générations. C’est ce qui a motivé Salomé Saqué, journaliste de 27 ans travaillant pour Blast, à écrire une « réponse à ceux qui critiquent la jeunesse » : les jeunes seraient, en effet, paresseux, narcissiques, craintifs, incultes, individualistes et sans engagement.

Pour éviter d’en faire un réquisitoire et de déclarer la guerre aux «boomers », l’auteur a pris soin de s’appuyer sur les travaux de chercheurs en économie et en sociologie et, sur les témoignages de jeunes de 18 à 30 ans, sans pour autant évacuer sa propre expérience. « Ce livre mêle une enquête précise et aussi objective que possible à mon ressenti  Intime : je défends bel et bien un point de vue dans ces pages – mais un point de vue fondé »

La première partie de l’ouvrage décrit ce que vivent les jeunes alors qu’ils sont en train de se construire « Sois jeune et fais-toi ». Ils sont d’abord soumis à une critique – paresse, décadence ou égoïsme – qui est a été une constante de la part des plus anciens depuis le poète Hésiode en 720 avant JC. C’est la «légendaire tendresse des ainés pour leurs cadets».

«Les jeunes, c’était mieux avant» est un refrain millénaire. Les 30 Glorieuses, c’était les 4 P : «Paix, Prospérité, Plein emploi, Progrès». Aujourd’hui pour les jeunes, c’est chômage, emploi précaire et pauvreté. L’autonomie économique est pour la plupart d’entre eux un mirage. « Pour ces jeunes-là, traverser la rue ne suffit pas à trouver un travail et encore moins un avenir ; parce qu’en France, en 2022, la vie vous sourit surtout si vous êtes nés du côté des chanceux ». La montée des inégalités et le retour d’une société de rentiers, font qu’aujourd’hui les patrimoines augmentent plus vite que les revenus, « il vaut mieux hériter que mériter »

Malgré les discours de politiques qui souhaitent être les candidats de la jeunesse, « la politique, aujourd’hui, ne protège aucunement la jeunesse des coups de la société ». Et les réformes successives ne s’attaquent pas vraiment aux raisons profondes de la précarisation des jeunes. Témoin, le Pass Culture qui est « moins une aide pour l’accès à la culture des jeunes qu’une subvention aux entreprises culturelles ». Face à un système économique qui ne leur donne pas de perspectives, les jeunes se réfugient sur Internet où quelques-uns arrivent à tirer leur épingle du jeu (YouTubers, influenceurs…), mais beaucoup se font piéger par les jeux en ligne par les crypto monnaies ou par diverses arnaques.

Dans la deuxième partie, « sois jeune et ne t’en fais pas », Salomé Saqué décrit les (bonnes) raisons pour les jeunes d’être pessimistes. «Entre les signes de faillite démocratique et la dérive sécuritaire, le tout documenté par des médias anxiogènes …Il parait normal que bon nombre de jeunes aient du mal à se projeter dans l’avenir. ». Mais « l’éléphant dans la pièce du pessimisme », c’est la crise écologique, « la bombe climatique sur laquelle ma génération est assise ». Et la pandémie n’a rien arrangé, d’autant plus qu’elle aura été l’occasion de constater une incapacité des politiques à agir malgré les beaux discours – relire les mots d’Emmanuel Macron le 12 mars 2020. 

La troisième partie « Sois jeune et lève-toi (mais pas trop) » rend compte de l’engagement des jeunes. Un engagement qui ne prend pas les formes habituelles : d’une part le rapport avec l’autorité de l’Etat, incarné par la police s’est largement dégradé ces dernières années. «Ignorance, humiliation, mépris et violence se sont trop souvent invités entre l’Etat et ses jeunes citoyens modifiant le rapport de ces derniers à la République » et d’autre part «écrasés par la pyramide démographique » – les vieux sont deux fois plus nombreux que les jeunes à voter -, les jeunes au mieux ont un vote de rupture, au pire s’abstiennent de voter. 

Par contre, il existe de nombreuses formes d’engagement citoyen des jeunes « qui sortent des radars traditionnels de mesure de l’engagement mais n’en constituent pas moins de réels espoirs pour l’avenir ». Et parmi ces formes d’engagement, l’engagement politique par le travail – refuser des métiers qui n’ont pas de sens – est devenue une forme majeure d’engagement.

En conclusion de cet ouvrage très documenté, Salomé Saqué plaide pour en finir avec la guerre des générations : « Je veux donner courage aux jeunes pour l’avenir qui s’annonce rude, mais aussi amener les générations qui nous critiquent à changer de regard sur la jeunesse, à leur faire entendre que les difficultés que nous rencontrons sont inédites , que les causes que certains d’entre nous défendons ne sont pas infondées , et enfin que nous avons besoin de leur aide pour prévenir au maximum puis affronter les bouleversements à venir».

Un ouvrage qui a touché le « vieux » que je suis et qui m’a rappelé la définition, certes un peu démodée, du développement durable : «un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Objectivement, les jeunes (les générations futures) peuvent être passablement inquiets sur la capacité du système actuel à leur laisser un monde dans lequel ils pourront vivre correctement.