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UNE MONNAIE ÉCOLOGIQUE

Alain Grandjean, Nicolas Dufrêne, Editions Odile Jacob, 2020

« Si nous nous efforçons de reconnaitre à la monnaie son caractère de bien commun, de sortir de notre défiance à son égard et d’accorder les règles de sa gestion et de sa création avec sa nature profonde, elle peut devenir un formidable outil d’émancipation et d’action ». Elle peut en particulier aider fortement à réussir la transition écologique. Telle est la trame de l’ouvrage écrit par Alain Grandjean, économiste, président de la fondation Nicolas Hulot, et Nicolas Dufrêne, haut fonctionnaire, spécialiste de politique monétaire. Cet ouvrage nous emmène de manière très pédagogique – autant qu’il est possible sur un sujet aussi ardu – dans les arcanes de la monnaie.

Dans les premiers chapitres, les auteurs nous font découvrir la « magie » de la monnaie, cette « institution sociale qui repose sur la confiance ». Il nous faut cesser de percevoir la monnaie comme une matière rare qu’il faut prélever quelque part (c’était le cas quand la monnaie était constituée d’or ou d’argent). Aujourd’hui dématérialisée et n’étant plus rattachée à une valeur physique, c’est une sorte de « flux magique ». De ce fait son émission est en théorie illimitée : elle n’est restreinte que par les règles que nous nous fixons nous-mêmes. Les règles actuelles sont guidées par les dogmes économiques sur la neutralité de la monnaie, dogmes qui ont progressivement conduit à une complète privatisation de la création de monnaie et au remplacement d’une véritable politique monétaire par une gestion monétaire, essentiellement tournée vers la lutte contre l’inflation.

Tout un chapitre est consacré à l’analyse des choix actuels de politique monétaire qui conduisent à des banques centrales indépendantes, mais en fait impuissantes. Et cela en raison d’une peur panique de l’inflation : « Disons-le clairement : à peu près toutes les prédictions des économistes orthodoxes concernant la monnaie se sont révélées fausses et bien plus dangereuses que les dangers potentiels qu’elles pointaient ». 

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, les auteurs développent une réflexion sur la puissance que peut avoir l’arme monétaire. D’abord en se tournant vers le passé : « L’histoire offre de nombreux exemples dans lesquels une politique monétaire active et coordonnée avec l’Etat a pu être à l’origine de grandes vagues de prospérité économique »

Ensuite en faisant des propositions concrètes pour mettre la monnaie au service du « green new deal ». En effet, « plus personne de sérieux ne pense aujourd’hui que le marché, guidé par la « main invisible » sera en mesure de répondre seul aux défis gigantesques posés par le réchauffement climatique et la dégradation de notre habitat naturel ». Comme cela a été fait dans le passé, il faut donc utiliser l’arme monétaire. Les auteurs proposent ainsi une série de solutions pratiques et applicables rapidement. Ils les détaillent en prenant soin de bien montrer en quoi elles sont crédibles et compatibles avec le cadre réglementaire européen.

Pour dégager les immenses sommes nécessaires à la transition, ils vont plus loin en proposant une solution « radicalement innovante, à savoir l’introduction de monnaie libre (c’est-à-dire de création monétaire sans dettes en contrepartie) selon des mécanismes faisant appel au caractère de bien commun de la monnaie ». Une telle proposition « aurait semblé, il y encore quelques années complétement iconoclastes aux yeux de la majorité des économistes ». Et pourtant à l’été 2019, le plus puissant fonds d’investissement mondial Black Rock a évoqué cette idée, rendant l’idée « d’argent magique » tout d’un coup crédible.

La question principale concernant la création monétaire libre n’est en fait pas technique, elle est politique, voire idéologique. Il s’agit de créer une « brèche dans le fonctionnement « libre » du marché », de redonner du pouvoir à la collectivité sur la création monétaire et de gérer la monnaie comme un bien commun : « la réappropriation collective de la monnaie, à gérer comme un bien commun, nous permettra d’en faire un puissant moyen de financement »

Au terme de cet ouvrage dans lequel les auteurs ont pris le temps de bien expliquer et justifier leurs propositions, les auteurs concluent : « nous faisons que décrire comment la magie monétaire peut donner aux ingénieurs, aux scientifiques, aux entrepreneurs, fonctionnaires et à tous les citoyens les moyens de se mobiliser pour agir, et pourquoi ils ne doivent pas accepter les discours qui tentent de les convaincre du contraire ».

A lire absolument pour comprendre pourquoi la privatisation actuelle de la monnaie n’est absolument pas une fatalité et surtout pourquoi il faut sortir de l’idéologie du marché si nous voulons avoir une chance de pouvoir faire la transition écologique ambitieuse qui s’impose.