Benoit Heilbrunn, Editions de l’AUBE et Fondation Jean Jaurès, 2024
« La rhétorique qui consiste à transformer le citoyen en un client aiguillonné par son seul désir d’achat est devenue consensuelle et toxique ». Partant de ce constat, Benoit Heilbrunn, Philosophe et professeur à l’ESCP se livre à une analyse de ce qui se cache derrière cette rhétorique pour nous montrer qu’il s’agit en fait d’un mythe, c’est-à-dire « un récit tenu pour vrai par ceux qui le transmettent, mais rapportant des faits beaucoup trop improbables, si ce n’est surnaturels pour décrire un monde vraisemblable ».
Les deux premiers chapitres traitent de la mystique et des illusions liées au pouvoir d’achat.
« La mystique du pouvoir d’achat sous-tend bien évidemment une apologie souterraine de la croissance infinie ». Il faut toujours plus de pouvoir d’achat pour pouvoir toujours acheter plus. Parler de pouvoir d’achat, c’est un moyen pour les grandes enseignes de distribution de se donner le beau rôle. En favorisant l’effet d’aubaine et l’opportunisme, et donc en cassant les relations de fidélité entre clients et fournisseurs, « l’idéologie du pouvoir d’achat dégrade donc continuellement la valeur des biens marchands » et donc indirectement la valeur du travail des humains qui produisent les biens et des écosystèmes dont sont extraits les matières premières.
La vie démocratique, c’est le pouvoir d’agir ensemble. En se limitant à un pouvoir personnel, « la rhétorique du pouvoir d’achat est un opérateur majeur de dépolitisation, qui contribue à construire une société atomisée ».
Le pouvoir d’achat est un mythe qui a « la double fonction d’endormir notre vigilance politique et de nous infantiliser ». Cette infantilisation se fait en particulier à travers la « fiction fondatrice de la société de consommation qui n’est pas le fait de posséder, mais au fait d’exister à travers des possessions ».
« La souveraineté du consommateur n’est pas du tout la même que celle de l’individu ou du citoyen ». Le fait de pouvoir choisir entre deux biens marchands masque le fait que dans certains cas il aurait pu être décidé de choisir entre biens collectifs et biens marchands. C’est ainsi toute la dimension des communs qui est occultée.
« Un autre élément de l’illusion propre au mythe du pouvoir d’achat est que les individus connaitraient le prix des produits qu’ils achètent ». Les exemples donnés par l’auteur montrent qu’à l’évidence ce n’est pas le cas.
Plutôt que le pouvoir d’achat, ne serait pas plus intéressant de développer la puissance d’agir se demande l’auteur dans la dernière partie. Il s’agirait de développer nos capacités (capabilities) comme l’a théorisé Amartya Sen. Quand nous achetons quelque chose, nous achetons du temps de travail : ne serait-il pas pertinent d’utiliser « notre temps libre pour développer des capacités d’autoproduction ». La puissance d’agir, c’est aussi la puissance de dire non : « la puissance du non- exercice, la disponibilité d’une privation », c’est-à-dire « se libérer des biens imaginaires que l’opinion nous désigne comme nécessaires à notre bonheur par le jeu puissant de la logique économique, de la publicité et de la mode ». Un essai court tout à fait utile pour changer de regard sur le sacro-saint pouvoir d’achat des discours politiques.