Vivre après le capitalisme
Tim Jackson, Actes Sud, 2024
En 2010, Tim Jackson publiait « Prospérité sans croissance », une synthèse qui s’inspirait fortement d’un gros travail de recherche mené en Grande Bretagne ayant pour but de redéfinir la prospérité et de proposer des pistes pour une économie qui apporte de la prospérité pour les humains sans qu’il y ait forcément croissance du PIB.
Post croissance a été écrit juste après la pandémie de 2020, « l’expérience non capitaliste la plus extraordinaire qu’il nous ait été donné d’imaginer ». Il reprend l’idée générale de « prospérité sans croissance », mais avec une vision plus historique et philosophique, pour « guider notre regard loin du sol pollué du dogme économique actuel, et de nous permettre d’envisager ce à quoi le progrès humain pourrait ressembler ».
Chaque chapitre de l’ouvrage est construit autour d’un personnage (des humains, mais aussi un vieux pont) dont la pensée ou l’existence servent de trame à la réflexion du chapitre.
On découvre ainsi que Robert Kennedy, avant d’être assassiné, avait fait des discours de campagne dans lesquels il « jetait le doute sur la doctrine la plus sacrée du capitalisme : l’accumulation incessante de richesse » et commençait à déconstruire le mythe de la croissance.
Un petit pont au milieu du Norfolk rural sert à l’auteur à nous faire réfléchir à « ce qui arrive lorsque l’esprit d’expansion acharnée se heurte aux contraintes matérielles d’un monde fini ».
« Comprendre la nature même de la prospérité – ce qui signifie « bien vivre » – est une étape essentielle dans la genèse d’un narratif post croissance ». C’est la vie de John Stuart Mill qui sert d’illustration pour aider à cette compréhension.
Partant du titre d’une conférence donnée par le physicien Ludwig Boltzmann en 1905 sur le thème de l’amour et de l’entropie, Tim Jackson philosophe sur le fait que dans le monde matériel, « les choses progressent de l’ordre vers le chaos et non dans le sens inverse » (deuxième principe de la thermodynamique) et qu’au contraire l’amour est « la victoire la plus spectaculaire de notre bataille continuelle visant à faire émerger l’ordre du chaos ».
« La lutte concurrentielle n’est pas la seule réponse possible à la pénurie…il y a une histoire bien plus riche à raconter » autour de la coopération. Lynn Margulis a dédié sa vie à cet effort.
C’est la vie et la pensée de Hannah Arendt qui sert de trame à une réflexion sur le travail : « La définition que fait Arendt du travail comprend précisément les activités que le capitalisme tend à sous-estimer et à laisser de côté : les emplois que la pandémie a révélés comme essentiels pour le bien- être humain ».
A travers la vie de Wangari Muta Maathai, qui a développé la Ceinture Verte et permis de planter plusieurs centaines de millions d’arbres en Afrique, c’est la prudence qui est illustrée, cette « capacité à agir avec sagesse pour affronter un avenir incertain ». Prudence qui doit conduire à l’investissement pour le long terme : « Une société s’épanouit lorsque de vieux hommes plantent des arbres à l’ombre desquels ils ne s’assiéront jamais ».
« Thich Nhat Hahn observe dans « L’art du pouvoir » que la société occidentale appelle pouvoir ce que le bouddhisme appelle des désirs irrépressibles ». La vie de ce moine vietnamien, adepte de désobéissance civile et qui a passé une bonne partie de sa vie en exil sert de trame à une réflexion sur le pouvoir.
L’inspiration pour le dernier chapitre est une poétesse qui a vécu cloitrée (confinée) toute sa vie, Emilie Dickinson. « Elle plaçait délibérément son existence matérielle dans une situation de limites physiques ». Mais par la poésie « elle ouvrait son cœur au monde ».
Il ne faut pas attendre de cet ouvrage des pistes très concrètes pour la post croissance. Il s’agit d’une réflexion philosophique, parfois poétique, sur les « erreurs système » du capitalisme et sur les principes qui permettraient de corriger ces erreurs systèmes. On peut juste regretter un peu trop de digressions et d’anecdotes qui affaiblissent le propos.