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L’ESPERANCE

Ou la traversée de l’impossible

Corinne Pelluchon, Editions Payot et Rivages, 2023

« La plus haute forme de l’espérance, c’est le désespoir surmonté », cette citation de Georges Bernanos placée en exergue du livre résume assez bien l’ouvrage de Corinne Pelluchon.

Professeure de philosophie et militante engagée dans la défense de la cause animale et environnementale, Corinne Pelluchon livre une œuvre très personnelle dans laquelle la réflexion philosophique s’appuie sur son expérience de femme qui vient de passer la cinquantaine et qui a connu des épisodes sévères de dépression. Ces épisodes sont entre autres liés à ce que l’on appelle souvent « éco anxiété », et qu’elle préfère nommer « dépression climatique », « Tout se passe comme si le toit de la prison se rapprochait, nous signifiant que nous allons être broyés. Une angoisse à laquelle s’ajoute un sentiment, diffus mais tenace, de honte nous saisit : nous avons la gorge serrée et ne pouvons respirer ni dire un mot. ». Mais aussi à la prise de conscience de la souffrance animale « Elle kidnappe les individus qui, acceptant de voir ce qui se passe de l’autre côté du miroir, là où l’on enferme, dépèce et abat les animaux, sont traversés par cette souffrance et par ce mal, les prennent sur eux, en prennent une part, jusqu’à devenir presque fous. ».

Ce désespoir, qui est consubstantiel aux êtres humains, est de fait universel : « le désespoir est facile et c’est la grande tentation ; ce qui est difficile et rare est de ne pas être désespéré ».  Pour retrouver l’espérance, il ne suffit pas d’être optimiste « Le plus grand contresens fait à propos de l’espérance consiste à la confondre avec l’optimisme ». L’espérance, c’est ce qui reste quand on a fait l’expérience de la « traversée du néant parce qu’il faut perdre ses illusions et renoncer aux fausses grandeurs pour pouvoir retrouver dans le réel les traces de ce bien si précieux que l’on recherchait partout ». L’auteur nous rappelle que Charles Péguy comparait l’espérance à une petite fille qui tient par la main ses grandes sœurs, la foi et la charité, suggérant ainsi « que l’espérance va de pair avec une certaine humilité et que sa force n’a rien de spectaculaire, au point qu’il est facile de ne pas la remarquer ».

Appliquée à notre situation actuelle en tant que peuple, cela signifie qu’il faut sortir des dogmes et des idéologies : « l’espérance est un acquiescement : au lieu d’ériger des dogmes et de proposer une grille de lecture opposant les bons et les méchants, elle se fonde sur ce qui existe ». « L’espérance revient à vivre avec cette certitude qu’en dépit de la destruction et de la réaction, quelque chose peut imprégner le réel jusqu’à produire des changements structurels importants ».

Dans les deux derniers chapitres de l’ouvrage, l’auteur traite de deux sujets qui lui tiennent à cœur, la sensibilité animale et le corps des femmes, sujets qui pourraient préfigurer l’évolution qu’elle appelle de ses vœux.

La façon dont nous traitons les animaux est révélateur de notre relation à la vie et au développement : « La souffrance animale peut devenir le fer de lance d’une révolution globale menant à un autre modèle de développement ».

 « Les cycles menstruels, la gestation, l’accouchement, la ménopause rappellent sans cesse à la femme cette inscription de soi dans son corps et dans le temps », ce qui les rend plus aptes que les hommes à mener la « révolution anthropologique qui doit nous aider à sortir du schème de la domination qui nous conduit à la ruine ». L’auteur n’hésite pas à faire un parallèle entre ménopause et changement climatique qui « se caractérisent par des variations soudaines de température et par un déséquilibre précédant le passage à un étant différent qui reste dynamique mais impose des renoncements ».

Un petit ouvrage de philosophie très accessible qui permet de comprendre « que la dépression est une étape obligée, qu’elle fait partie du remaniement psychique qui ne suffira sans doute pas à éviter les catastrophes, mais sans lequel aucun changement durable dans les styles de vie et aucune transformation réelle des normes sociales ne sont possibles ».