Alexandre Lacroix, Allary Editions 2021
Nous sommes nombreux à ne plus approuver le monde tel qu’il fonctionne. D’ailleurs beaucoup dénoncent avec virulence la gigantesque machine économique et sociale dont nous ne sommes que des rouages. Mais il est difficile pour tous « ceux qui se lèvent le matin pour aller travailler » de trouver la solution pour s’en dégager tout en faisant « vivre sa famille ». Dans ce petit livre, Alexandre Lacroix, philosophe, directeur de la rédaction de Philosophie magazine, nous propose la piste du post-utilitarisme pour ne plus « être esclave du système ».
L’auteur commence par revenir « aux origines du système » avant de « décoder notre époque ». Depuis Descartes, nous vivions dans un régime de séparation : âme/ corps, moi/les autres, vrai/ faux, état/ citoyen, travail/loisir. Et puis est arrivé le Web et l’hyper connexion qui ont complétement brouillé cette séparation. Les « oppositions structurantes » ont laissé place, en matière économique, politique, écologique et amoureuse, à un nouveau régime : « la modernité connective ». En chacun sommeille désormais « un technophile et un technophobe, un exhibitionniste aimant parader sur les réseaux sociaux et un gardien jaloux de zones secrètes, un publicitaire et un artiste, un stakhanoviste et un paresseux, un agent de la globalisation libérale et un vagabond céleste ».
A travers l’exemple de Mathieu, un jeune qui créée une start-up dans le numérique, l’auteur nous fait toucher du doigt que « la modernité connective est éprouvante pour chacun d’entre nous, dans la mesure où elle transforme les oppositions externes en tensions internes ».
Il est donc temps de réagir, « de défendre notre autonomie, de ne pas laisser, en nous, le dominant étouffer le dominé, ni l’optimisateur rationnel étrangler le flâneur désintéressé ».
Une fois ces éléments posés, dans le dernier chapitre, le plus intéressant, l’auteur nous fait sa proposition de solution : aller vers le post- utilitarisme. Il décrit d’abord en détail la doctrine de l’utilitarisme (la maximisation des avantages pour les individus et pour la société) qui s’est développée depuis Jeremy Bentham en 1780 et qui a conduit à la gigantesque machine économique et sociale dont nous cherchons à ne plus être esclave. Pour éviter l’extrême du refus total du système et proposer une philosophie de l’action accessible à tous, l’auteur nous propose de réviser le logiciel de Bentham et d’aller vers le post-utilitarisme. Le post-utilitarisme repose sur une règle simple, il s’agit de « maximiser son profit sous contrainte d’idéal. » Ce qui se traduit concrètement par l’utilisation efficace par l’individu de ses tensions internes, « Au marginal, au flâneur, au dominé, il revient d’énoncer l’utilité idéale. Au calculateur, à l’optimisateur, au capitaliste, de faire en sorte que les choses ne se passent pas trop mal par la suite, que le confort et le bien-être restent accessibles. ». Et il illustre son propos par quelques exemples d’application concrète de sa doctrine post utilitariste. Une doctrine qui permet de sortir de l’individualisme, car « en se donnant un idéal, chaque post-utilitariste se déclare responsable d’un morceau du monde ».
Cette proposition post-utilitariste a le grand mérite d’être accessible à tous et permettre de rentrer dans l’action. « La ou les philosophes forment souvent une critique et des recommandations qui n’auront de portée que si elles inspirent des réformes au plus haut niveau, j’ai préféré suivre le chemin inverse et placer mes espérances dans l’existence ordinaire ».
Un petit livre dont on a envie de lire une suite pour avancer dans la mise en œuvre concrète de ce post-utilitarisme.