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ZOOCITIES

Des animaux sauvages dans la ville

Joelle Zask, Editions premier parallèle 2020

Dans « Quand la forêt brule » (voir chronique), la philosophe Joëlle Zask était parti d’un fait, en l’occurrence les « megafeux » de plus en plus courants, pour nous emmener dans une réflexion philosophique sur notre relation avec la nature. Dans Zoocities, elle récidive en partant du constat de la présence de plus en plus forte d’animaux sauvages dans les villes.

Son approche est une philosophie d’enquête, alternant constats empiriques et considérations théoriques, lesquels s’alimentent mutuellement.

Elle nous propose une « expérience de pensée : que se passerait-il si les animaux s’installaient massivement dans les villes ». A partir de là, l’auteure interroge « la ville, ses limites, ses insuffisances ». Mais c’est aussi l’occasion de « repenser les relations entre espèces ».

Le premier constat, c’est « le grand retournement » : l’habitat des animaux campagnards étant de plus en plus menacé, la ville peut apparaître comme un espace plus « accueillant et protecteur », même pour les espèces sauvages. Finalement contrairement à la fable, « c’est bien le rat des villes qui a raison ». L’auteure nous rappelle qu’en 1931, le conte de Babar nous présentait déjà la ville comme un refuge pour le petit éléphant face aux dangers de la forêt.

Joëlle Zask fait bien la différence entre la ville et la cité : la ville est « fondamentalement antidémocratique : elle expulse les gens hors de leur propre vie pour leur imposer un ordre invariant qui neutralise leur volonté et qui les contraint, idéalement, à adhérer collectivement au plan d’ensemble ». Au contraire, la cité est « composite, associative, congruente, plurielle ». Comme le disait Aristote « si elle avance trop sur la voie de l’unité, une cité n’en sera plus une, car la cité a dans sa nature d’être une certaine sorte de multiplicité. ».

Grâce à l’arrivée de quelques bêtes sauvages, la ville, que l’on croyait bien fermée sur elle-même et maitrisée, découvre qu’elle doit « inclure les éléments étrangers par rapport au plan initial – hommes, bêtes, plantes, etc. – au titre de partenaires et voisins ». C’est une incitation à faire évoluer la ville vers une cité « Nous n’avions pas perçu qu’il restait du sauvage dans la ville. Nous avons réalisé qu’elle avait le potentiel d’un écosystème et que c’était dans ce sens qu’il fallait la transformer ».

L’auteur fait un détour par l’arche de Noé, un élément important de nos traditions, qui peut devenir source d’inspiration. « A l’opposé du cube renfermé sur lui du modèle babylonien… la compartimentation de l’arche en niches séparées, mais confortablement reliées à des espaces communs, évoque le site d’une société formée d’individus… l’arche est un régime de différence et non d’identité… elle est une image de la cité ».

Pour décrire les relations entre humains et animaux, on utilise souvent le concept de cohabitation. « Cette conception exclut que les animaux puissent prendre place dans la ville autrement qu’en délinquants ou, à l’inverse, en invités ».  « Il semble que la notion de voisinage est celle qui convient le mieux ».  Etre voisins, c’est respecter une bonne distance. Pour illustrer cette distance, l’auteure nous rappelle le dicton américain qui veut qu’un ours nourri soit un ours mort : ayant pris l’habitude d’attendre sa nourriture des hommes, il cessera de la chercher par lui-même et viendra en permanence importuner les humains. Ce qui conduira probablement à ce qu’il doive être supprimé.

L’ouvrage se termine par des réflexions sur les cités multispécistes et évolutives qu’il faudra construire pour s’adapter à cette nouvelle donne de la présence d’animaux sauvages. Une cité dans laquelle se combinent plusieurs modes de vie : « l’indépendance, la pluralité, les relations de voisinage, les niches et les corridors ». Et comme il n’est pas possible de faire signer aux animaux sauvages des contrats, « la coexistence propre à la cité repose plutôt sur des alliances ». Et l’auteure de citer l’exemple des hyènes et des bouchers dans la ville de Harar en Ethiopie.

« La cité, contrairement à la ville, est faite pour être évolutive ». Certains urbanistes l’ont compris depuis longtemps, comme « Sir Patrick Geddes, un urbaniste écossais qui fut un des premiers à avoir pensé la cité comme un écosystème complet et dont la réalisation la plus importante, Tel Aviv, s’est peuplée depuis d’animaux sauvages ».

Cette exploration des zoocities nous incite à « transformer la manière dont nous nous représentons le monde. Celui que nous pensons pouvoir administrer, régenter, contrôler ou, à l’inverse, contempler comme quelque chose d’extérieur n’est pas le monde que les animaux nous poussent à considérer, celui que nous savons être imprévisible et dont nous nous sentons partie prenante. ».

Un ouvrage qui mêle avec bonheur les exemples concrets et les considérations philosophiques, ce qui le rend très accessible à la lecture.